lunes, 3 de febrero de 2014

Respuesta al artículo de "Libération" sobre la secesión de Cataluña

Chers Messieurs,

J'ai découvert avec étonnement l'article “Espagne, la Catalogne prend le large”, signé François Musseau et paru à Libération le 4/12/2013. C'est toujours une bonne nouvelle qu'un journal français du prestige de Libé fasse attention à ce qui se passe hors France et si près de chez moi. La nouvelle est néanmoins moins bonne quand on trouve dans l'article des données inexactes et des petits arrangements avec la vérité, pour ne pas dire des mensonges purs et simples répétés par le pouvoir nationaliste en Catalogne, mais qui devraient être soigneusement vérifiées avant d'être publiées par un journal qui se veut rigoureux et indépendant. Ce qui manifestement n'a pas été fait avec cet article. On ne peut pas éviter l'impression, peut-être injuste, que le pouvoir nationaliste a essayé et réussi à faire passer sa propagande à travers Libération, avec une visite guidée de la sorte de celles aux villages Potemkin de la Russie tsariste. Et c'est regrettable. Il s'impose, donc, faire quelques précisions aux lécteurs du reportage.
D'abord, Sant Vicenç dels Horts se trouve à 20 km environ de Barcelone, donc moins de la moitié de la distance mentionnée par l'article (50 km). Ceci est la moins grave des inexactitudes de l'article, mais c'était quelque chose de très facile à vérifier. Telle confusion dénote une attitude assez approximative de la part de l'envoyé spécial qui annonce, malheureusement, des confusions et des demi-verités bien plus ennuyeuses. Puis il y le titre, “Catalogne prend le large”. C'est qui en fait qui prend le large? Moi, je suis catalan aussi et je n'ai jamais pris le large de l'Espagne. Ce n'est pas mon seul cas, bien entendu: il n'y a pas mal des autres Catalans –surtout à Sant Vicenç dels Horts, où j'ai habité pendant plusieurs années-- qui vivent, comme moi, la double condition d'Espagnols et Catalans avec une grande naturalité, comme un Strasbourgeois vive sans contradiction son identité Française et Alsacienne. Cette double identité catalane et espagnole, vécue de façon non conflictuelle, reste largement majoritaire en Catalogne, comme le montrent toutes les enquêtes, officielles ou non. Et c'est encore plus marquée à Sant Vicenç dels Horts, comme le montre le fait que le nationalisme n'ait pu accéder à la mairie qu'aux dernières élections locales, dut notamment à la défaillance du parti socialiste local, et avec une très large coalition qui comprend séparatistes (ERC), nationalistes conservateurs (CiU) et ex-communistes (ICV). Mais bien sûr, si l'on ne se renseigne qu'auprès la conseillère municipale séparatiste Imma Prats (ERC), membre de l'actuelle majorité municipale, et le très politisé et discredité Centre d'Estudis d'Opinió (CEO), dirigé par le militant d'ERC Jordi Argelaguet, ce n'est pas étonnant que le tableau résultant soit... très partiel et très proche (trop proche, même) aux thèses d'ERC, pourtant minoritaires à Sant Vicenç dels Horts et dans l'ensemble de la Catalogne. C'est bien connu en Catalogne –et ça pourrait intéresser les lecteurs français de Libé-- l'étonnant biais nationaliste du CEO, qui le conduit systématiquement à sous-estimer les partis catalans non nationalistes et exagérer celles des nationalistes et des partisans de la séparation, même en contradiction avec ses propres donnés (voir par example [1]). La dernière preuve de cette volonté de manipulation fut le sondage publié par le CEO quelques jours avant la dernière élection régionale à Catalogne, en novembre 2012, où le CEO prévoyait que la coalition nationaliste CiU, qui comptait 62 élus (sur 135) dans le Parlement régional, allait gagner 10 sièges et donc obtenir la majorité absolue qui réclamait le président Artur Mas. Les résultats des élections montrèrent que la coalition nationaliste, loin de gagner quoi que ce soit, avait perdu 12 sièges... et obtenait donc 20 sièges moins de ceux prédits par le CEO.


On retourne à Sant Vicenç dels Horts. On lit avec surprise que l'ANC n'a pas d'affiliation politique et la “société civile” va de l'avant. La réalité c'est un peu plus compliquée et, surtout, bien moins bisounours: l'ANC c'est une organisation créée par des cadres de CiU pour soutenir d'abord l'action d'Artur Mas au gouvernement, puis dirigée par Carme Forcadell, dirigeante d'ERC (partenaire de CiU dans le gouvernement régional), et qui a reçu depuis sa fondation en 2012 de très généreuses subventions du gouvernement nationaliste – même quand l'heure était à l'austérité et aux coupes budgétaires dans les services publics les plus élémentaires, dont l'éducation et la santé. C'est pareil pour la “société civile”: et organisations nationalistes de toute condition sont fortement soutenues depuis des décennies pour le gouvernement régional, toujours nationaliste conservateur (Ciu) ou avec présence des séparatistes (ERC) et considérées la seule encarnation de la “société civile”; les autres, plus ou moins opposés au nationalisme, sont systématiquement négligées et invisibilités. Ce qu'on appelle “société civile” favorable à la séparation n'est donc que les terminaux du pouvoir nationaliste en place dans la société. Même les médias privés reçoivent des grosses subventions de la Generalitat (plus de 25 millions d'euros en une seule année), ce qui explique peut-être sa docilité vers le pouvoir en place. Un pouvoir nationaliste qui gouverne la Catalogne –et a participé au gouvernement national-- depuis plus de trente ans, avec une autonomie régionale inégalée dans l'Europe, même aux États les plus décentralisés. C'est peut-être ça ce qui fait la différence par rapport aux autres mouvements nationalistes internationaux?
On aurait aimé lire un bilan un peu plus équilibré sur le pouvoir nationaliste qui anime dernièrement la vague séparatiste, afin d'établir le contexte. En effet, le climat de radicalisation nationaliste paraît moins bon enfant et surtout moins spontané quand on sait, par exemple, que l'enseignement en Espagnol est interdit par la Generalitat, ou que l'on pénalise les propriétaires des boutiques si les affiches sont en Espagnol. Ou que la Generalitat instruit les instituteurs pour qu'ils expliquent aux enfants que la guerre civile de 1936, ce n'était pas du Franco contre les républicains et démocrates; c'était une guerre de l'Espagne (la Catalogne exclue) contre la Catalogne où les Catalans sont les perdants. Peu importe que la résistance républicaine à Madrid (donc, en “Espagne”) ait été bien héroïque, ou que la répression franquiste en Andalousie (donc, encore en “Espagne”) ait été bien plus sanglante qu'ailleurs. Ou que le Conseil de l'audiovisuel régional (CAC), organisme de la Generalitat, ait récemment publié un rapport officiel [3] qui accuse certains journalistes, hommes et femmes politiques de l'opposition d'être des ennemis de la Catalogne, parce qu'ils s'opposent au projet nationaliste. Ce qui explique, peut-être, que selon des statistiques officielles, environ 30% des Catalans ne se sentent pas à l'aise pour manifester leur opinion, lorsqu'elle est contraire au pouvoir nationaliste, et donc se tait.
Au lieu de cela, on préfère des anecdotes plus sympathiques, et surtout bien plus chères au pouvoir nationaliste, sur la nationalité de Cristóbal Colón, la naissance du film de Messi... pour continuer en reprenant fil par fil la propagande nationaliste et ses argumentaires pour expliquer la montée séparatiste. On dit, par exemple, que les autoroutes en Catalogne sont de paiement, tandis que dans le reste de l'Espagne elles sont gratuites. Ce qu'on ne dit pas, et c'est dommage, c'est que ces autoroutes sont de paiement pour des raisons purement historiques: elles se sont construites quand dans le reste de l'Espagne il n'y avait pas, d'autoroutes. La Catalogne s'est donc bénéficié d'un réseau viaire bien plus développée que le reste du pays pendant des années, qu'il fallait payer parce que l'État n'avait pas les moyens à l'époque de le faire gratuit; et cet écart s'est maintenu jusqu'à la politique d'infrastructures des années quatre-vingt menées par le gouvernement socialiste (et faisables après l'ingrès espagnol dans la CEE). Plus encore: avec le développement de l'État autonomique, ce sont les régions (y compris la Catalogne) qui ont assumé la titularité de la plupart de ces autoroutes, et la Generalitat catalane en particulier a eu la possibilité de les faire gratuites à l'expiration des concessions originales. Au lieu de cela, elle a préféré de prolonger le système du paiement, de façon que la société concessionnaire (Abertis, donc La Caixa, l'ancienne caisse de dépôts historiquement proche du nationalisme et la bourgeoise catalane) puisse continuer à gagner de l'argent.
On dit par exemple que la nouvelle loi d'éducation, à peine approuvé par le Parlement national, attaque le Catalan et le relègue. Ça suffit de lire cette loi, déjà publiée sur le BOE (journal officiel) pour constater que cette version ne tient pas. Ce qui la loi établit, en consonance avec toutes les décisions de la justice sur la matière, c'est que les Catalans ont droit à que leurs enfants puissent étudier en Espagnol ET en Catalan (et pas seulement en Catalan), et que donc l'interdiction d'utiliser l'espagnol comme langue véhiculaire est illégale. Il n'y a pas de relégation du Catalan parce que personne en Espagne (ni les tribunaux, ni le gouvernement, ni la gauche ni la droite, ni le Parlement) a jamais mis en doute que le Catalan doit être présent à l'école et au lycée. Comme Catalan et bilingue, moi je n'aurais jamais accepté ça. Le problème est ailleurs: ce sont des centaines de familles catalanes qui ont réclamé ce droit dans la justice, parce que l'enseignement en Espagnol est un droit de tout citoyen, puisque l'espagnol est la langue officielle du pays (et la majoritaire des Catalans, d'ailleurs); mais la Generalitat a refusé jusqu'à présent de respecter les sentences judiciaires et a déjà annoncé qu'elle ne respecterait pas la nouvelle loi. Si l'on en avait eut envie, on pourrait avoir contacté avec le réseau d'Assemblées pour une école bilingue (AEB) [3], en expansion et déjà présentes dans plusieurs localités de la banlieue de Barcelone. C'est où l'attaque ? C'est où le journalisme critique et c'est où la vigilance vers un pouvoir qui attaque les droits des citoyens?


On pourrait continuer, mais cela ne vaut pas la peine. Libération a raté une bonne occasion d'être fidèle à son histoire et aller chercher les informations là où le pouvoir en veut pas qu'on regarde. Au lieu de ça, on a préféré de mettre son légendaire titre au service de la propagande et du storytelling d'un projet réactionnaire, qui vient d'un pouvoir nationaliste qui n'a pas de bilan et qui ne veut pas de contre-pouvoir (et c'est bien là la raison profonde de l'agitation séparatiste), et qui, en plus risque de jeter la Catalogne dans une sorte de confrontation civile qui ne dit pas son nom, avec des arguments populistes (la faute, c'est à l'autre, c'est-à-dire à l'Espagnol! avec l'indépendance, on aura tous du travail! On n'aura plus de délocalisations! Ce n'est pas grave si l'on sort de l'Union européenne!) qui fait le fonds de commerce de toutes les forces nationalistes et xénophobes en Europe et qui, en Catalogne comme ailleurs en Europe –on le sait très bien en France, avec la percée du Front Nationale, a un boulevard devant eux avec la crise.
Bien à vous,

Daniel Perales, traducido por Juan Antonio Cordero Fuertes y publicado en Crónica Global.

4 comentarios:

  1. Ojalá hubiera más personas que sacudiéndose la pereza como ha hecho en este artículo Daniel Perales y como sin duda hacen otros pero todavía insuficientes, pusieran los puntos sobre las íes para decir alto y claro lo que está ocurriendo en Cataluña. ¡Enhorabuena!

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